J’ai rencontré Marie, une jour de novembre, ielle m’a ouvert la porte, en pyjama, la tête en vrac, un verre d’eau à la main pour m’accueillir là tout en haut de son 4e sans ascenseur où je suis arrivée essoufflée, moyennant quelques pauses aux paliers.
C’est comme ça que Marie reçoit, un verre d’eau à la main, sa façon personnelle de dire : tu es arrivé.e, respire et bois, bienvenue chez moi. Ielle s’affale dans le canapé, s’emmitoufle dans un plaid et on commence à causer, comme si on se connaissait depuis toujours. Ma présence ici est un cadeau, ielle me partage toute son intimité, pour la postérité. Parce que je ne suis pas simplement venue, je suis venue pour capter un échantillon de son quotidien, une tranche de vie, la plus naturelle possible, sans artifice ni mise en scène, dans la lumière disponible. La connexion est immédiate, j’assiste avec respect à son rituel du matin. Aujourd’hui, il est prévu un rendez-vous avec un journaliste, alors je fais la petite souris et j’écoute son histoire, un peu ébahie par sa densité, par cette tranche de vie tellement extraordinaire, tellement loin de ma petite vie tranquille. Marie se raconte et je bois ses paroles. clic clic, son visage est incroyablement expressif, c’est comme si ielle était habité.e par plusieurs personnages, c’est fascinant. Je vois ELLE, je vois LUI, je vois son histoire et les gens qu’elle aime tatoués sur son corps. Cette série de photos est la première partie d’un projet en trois volets : Au naturel (quotidien), en studio avec mise en beauté « classique », et puis nous ferons une version artistique de comment ielle se voit, perçoit, ou veut paraître. Voici sont témoignage sur cette séance photo intime : Et toi dans la glace ! T'arrêtes de me matter bâtard ! Qu'est-ce que tu veux mec ? Tu crois que t'es qui ? Arrête ! Et toi dans le miroir ! Ça va aller ce soir ? Comment vas-tu composer cette fois pour oublier que je suis là ? T'as vu ta gueule ? T'as vu ton nez ? Tête de singe ! Acné ! Acné ! T'as vu tes fesses lavettes à graisse ! T'as vu tes seins scrotum à rien... C'est qui celle-là ? C'est qui ce con ? Tu serais pas un peu un thon ! Et puis ces jambes et puis ce ventre et ce corps qui te dérange. D'ailleurs t'as vu, personne ne t'aime ! Tous ceux qui t'ont vu nu... Toutes celles qui t'ont vue à poils... T'es laide, t'es moche, pauv'fille, pauv'goss. T'es à peine bonne à baiser et tu ne seras jamais l'homme de ses rêves. Parce que tu n'as qu'une forme, celle de ta haine. ----------------------------------------------------------------------- Dans ma vie, j'ai traversé pas mal de débâcles psychologiques en lien ou non avec des traumatismes. Toc, auto-mutilations, anorexie, boulimie, tentatives de suicide, ... Ayant beaucoup de mal à retourner le couteau vers les autres, je l'ai planté souvent en moi En cultivant ma violence et ma haine uniquement sur les contours et l'intérieur d'une enveloppe à laquelle je ne m'identifie pas Depuis ma désintoxication à l'alcool et le début de ma sobriété, une des choses les plus difficiles à gérer est mon rapport au corps C'est un combat quotidien qui ne prendra jamais fin... C'est tous les "Tu es belle" du monde qui écorchent C'est cette prison que tout le monde regarde sans y voir ses prisonnières C'est cette peau que je tatoue pour oublier Pour tenir un jour après l'autre Dans ce corps qui n'a jamais semblé m'appartenir Et pourtant par lequel je respire et me noie Ce corps violé, vendu, dénigré, rompu, trahi Qui ne reflète en rien les couleurs de mon âme Cet étranger à moi qui m'empêche d'aimer Et d'appréhender la douceur d'une caresse ----------------------------------------------------------------------- Avec la visibilité qui m'accompagne ces derniers temps, l'envie et la nécessité de faire des photos se sont imposées dans mon parcours. J'ai toujours eu extrêmement de mal à me retrouver sur des photos ou des vidéos et les conséquences en sont souvent désastreuses. Mais quand Cécile Quenum m'a proposé un projet en trois parties : intime/studio/rêve L'idée de faire de cette art une étape thérapeutique m'a séduit•e. Pour faire la paix ? Pour découvrir ? Pour soigner ? J'ai aussi eu tout de suite cette confiance qu'il faut quand on rencontre un•e photographe. Et même si j'ai dû me préparer psychologiquement à la perspective d'en dévoiler autant, j'étais convaincu•e que le regard derrière l'objectif était bienveillant et doux. Merci Cécile d'avoir vu qu'il y avait pluralité Et que d'une certaine manière cette dysmorphie que je ressens est la conséquence de l'incapacité de mon corps à ressembler à toute l'âme plurielle qui y habite. Même si la confrontation est remuante, je crois qu'elle créera des bases dans le cheminement vers l'acceptation et la paix. À tout jamais merci ------------------------------------------------------------------------- En psychologie, le dysmorphisme désigne le décalage pathologique entre la réalité et la manière dont le sujet perçoit son corps. Ainsi, une personne souffrant de dysmorphie musculaire se trouvera constamment chétive, même si elle est en fait une personne culturiste ou athlétique Le diagnostic de la dysmorphophobie est basé sur l'historique. Si la seule préoccupation est la forme et le poids du corps et que le comportement alimentaire est anormal, un trouble du comportement alimentaire peut être le diagnostic le plus approprié; si la seule préoccupation est l'apparition de caractéristiques sexuelles physiques, un diagnostic de dysphorie de genre peut être envisagé. Au cours de leur vie, environ 80% des personnes souffrant de troubles dysmorphiques corporels ont des idées suicidaires et environ un quart à près de 30% tentent de se suicider. La dysmorphie corporelle est caractérisée par des taux de suicidalité significativement plus élevés que d'autres troubles psychiatriques à risque élevé de suicide.
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Le Blog de CécileAu gré de mes voyages, de mes shootings et de mes coups de coeur, je partage ici mes rencontres, les histoires et les images qui en résultent. Archives
Décembre 2021
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